Nom : Turf.
Editeurs : Image Comics en version originale, Emmanuel Proust en version française.
Années d'édition : 2010-2011.
Auteurs : Jonathan Ross (scénario), Tommy Lee Edwards (dessin, encrage, couleurs), John Workman (lettrage).
Pitch : 1929, New York. En pleine Prohibition, une jeune journaliste intrépide veut s'arracher à sa chronique superficielle pour intégrer les affaires criminelles. Pour ce faire, elle s'immisce sur une scène de crime encore secrète et découvre une famille mafieuse monstrueusement décimée - une de plus. En effet, depuis quelques temps, les organisations criminelles de la ville opèrent un business étrange avec de nouveaux venus, une famille roumaine qui n'achète que... du sang. Et ne sort, évidemment, que la nuit.
Si on rajoute à cela un duel fratricide à la tête du clan de suceurs de sang ; leurs conseillers qui les manipulent pour faire revenir les anciennes traditions et surtout l'Ancêtre, un monstre surpuissant endormi qui nécessite un massacre de milliers d'humains pour se réveiller ; un chef de gang qui retrouve son humanité ; une romance impossible ; et surtout un vaisseau alien qui s'écrase près de New York, et dont l'occupant va aider les humains à lutter contre leurs futurs bourreaux.
Mon avis : Jonathan Ross est un animateur de radio et de télévision qui s'est lancé dans les scénarios de comics avec Turf, puis plus récemment America's Got Powers avec le dessinateur Bryan Hitch (Ultimates, Fantastic Four, etc.). Ce récit en cinq parties est donc son premier essai dans le monde de la bande-dessinée, et force est de constater que l'auteur a voulu lâcher les chevaux avec un concept mêlant mafia, vampires et aliens dans un rythme effréné, le tout avec de sublimes dessins de Tommy Lee Edwards.
Cependant, est-ce que ça fonctionne ? Un pitch délirant ne suffit pas à rendre obligatoirement bon une oeuvre (une pensée pour Cowboys VS Aliens), alors qu'en est-il ici ?
Et bien le résultat est mitigé.
- Vampires VS mafieux. La logique l'emporte.:
Si Jonathan Ross a de vraies bonnes idées de départ, sa narration et son style ne rendent pas forcément la lecture très fluide. A plusieurs moments, les rebondissements ne m'ont pas paru clairs : généralement placés en fin d'épisode, ils étaient préparés par quelques éléments (par exemple, voir la journaliste être suivie par des suceurs de sang) mais la transition avec la prochaine situation (ici, la journaliste enfermée chez les vampires après avoir déjà été ligotée voire plus) n'est pas évidente et oblige à revenir en arrière pour être sûr de n'avoir rien loupé.
En soi, ce n'est pas forcément grave, mais c'est gênant quand c'est répété et que ça casse directement la lecture. Turf se voulant quand même une histoire folle et endiablée, avec beaucoup d'action et de rebondissements, si une grande partie de ceux-ci bloquent ma lecture, c'est qu'il y a un problème quelque part.
- Même s'ils ne sont pas des vampires, nos amis roumains suceurs de sang volent quand même.:
Après, oui, Turf est définitivement une folie douce, avec ses concepts totalement barrés et son mélange des genres bien marrant. Voir des mafieux s'allier avec un alien contre des vampires (même s'ils refusent ce nom après avoir été choqués/révulsés par la pièce issue du roman de Bram Stoker), c'est quand même fondamentalement cool et Ross arrive vraiment à rendre tout ça cohérent. Etonnamment, l'apparition de l'alien ne fait pas "trop", sa présence s'intègre bien au récit et n'est pas un simple Deus Ex Machina.
Oui, le concept de Turf fonctionne et donne beaucoup de bons passages. Ca ne veut pas dire, non plus, que toutes les idées sont bonnes et claires.
Encore une fois, Ross va trop vite sur certains passages, et certaines idées ne sont pas assez claires. Personnellement, j'aime qu'un auteur ne me dise pas tout, me laisse imaginer, interpréter, notamment une fin. Par exemple, je suis extrêmement fan de Inception pour ce final ouvert, laissant au spectateur choisir suite aux éléments à sa disposition.
- Même si Turf est un mélange des genres, l'aspect polar et ses moments durs sont également bien présents.:
Malheureusement, Jonathan Ross ne s'enfonce pas dans cette voie : sa fin est claire, mais certains éléments de son intrigue ne sont pas clairs. Le destin de l'alien et du mafieux avec qui il s'est allié n'est pas évident, la façon dont l'Ancêtre disparaît n'est pas pas évidente, l'origine même des suceurs de sang n'est pas évidente, tout comme beaucoup d'autres aspects du récit. En soi, encore une fois, ça n'a rien de grave, mais la répétition de telles absences devient gênante et nuit à ma lecture.
A côté, Tommy Lee Edwards livre de très bonnes planches, même si elles ne sont pas toujours d'une qualité égale. Son style étrange, atypique, colle bien à cette folie douce et ses représentations des suceurs de sang, aliens et autres mafieux sont très agréables et intéressants. L'aspect graphique est clairement ce qui m'a attiré ici, et je n'ai pas été déçu : Edwards livre des dessins qui explosent directement aux yeux, et qui fonctionnent très bien dans cette intrigue.
- Une double origine parfaitement gérée par Tommy Lee Edwards.:
Finalement, Turf est donc une semi-réussite : concept excellent et passionnant, histoire plutôt bien rythmée malgré quelques défauts de narration, dessins atypiques et superbes, bonne gestion des personnages, mais tout ne fonctionne pas comme il le faudrait, quelques effets (notamment les dernières pages de chaque numéro, supposés indiquer ce qui arrivera bientôt) tombent à plat et ne sont pas de grande utilité, et la fin est précipitée.
Jonathan Ross livre un récit bancal mais agréable, Edwards est très bon, mais ça s'arrête là. Une lecture agréable, une lecture de bibliothèque oserais-je dire : Turf est parfait à emprunter pour lire sous un arbre par ces chaleurs intenses, mais l'achat ne me semble pas obligatoire. Surtout que l'éditeur français a divisé les cinq épisodes en deux tomes d'une quinzaine d'euros chacun, alors que l'édition originale est moins chère sur Amazon. Vu la qualité de Turf, 25 à 30 euros, c'est un peu cher quand même.