Substance Mort

Je viens de me finir Substance Mort, un des romans de Philip K. Dick et considéré comme une de ses oeuvres les plus abouties et les plus personnelles.

Citation :

Bob Arctor est Fred, et Fred est Bob Arctor : un policier membre de la brigade des stupéfiants, infiltré (ou presque) dans un milieu de toxicomanes, et menant deux vies à la fois. Il vit avec deux autres hommes totalement déphasés par rapport à la réalité, Luckman et Barris. Donna, son amie, est dealeuse et consommatrice. Il sont tous, excepté Donna, accro à la Substance M, une drogue qui mine peu à peu votre identité pour finir par faire de vous une larve.
Pour Fred, ce sera le début de la fin quand ses supérieurs lui demandront de surveiller Bob Arctor, dont ils ignorent la véritable identité (tous les flics portant des « complets brouillés » qui les rendent incognitos). Comment enquêter sur soi sans finir par ne pas devenir totalement schizophrène ?

Je ressors de ce livre avec une impression bizarre.
Ce n'est pas une histoire de SF même si il y a beaucoup d'évolutions technologiques et qu'on ne comprend que très, très rarement de quels appareils les personnages parlent. Ce n'est pas un documentaire sur la drogue et ses méfaits. Ce n'est pas un avertissement sur le fait que prendre de la drogue, c'est mal. Ce n'est pas une autobiographie. Ce n'est pas une vision extrêmement torturée et mélancolique de la vie. Ce n'est pas une critique de la société par la vision de ses exclus. En fait, Substance Mort, c'est un peu tout ça, et c'est ça qui est bien.

Critiquer un livre comme ça à chaud est assez difficile, en fait. Une deuxième lecture me paraît indispensable pour bien tout comprendre, même si le résumé m'avait déjà fait un peu cherché les indices quand au problème mental du personnage. Mais j'avoue n'avoir rien vu venir par rapport aux révélations finales, mais j'y reviendrais par la suite.
Dans cette oeuvre, on suit donc le parcours d'un homme rongé par la peur, la schizophrénie, la paranoïa puis la maladie, qui devient l'explication logique de tout. Dick nous mène parfaitement dans les méandres de l'esprit d'Arctor quand il le perd, d'ailleurs, et c'est extrêmement bien fait. Le personnage perd bien dans le monde dans lequel il vit à cause de sa peur d'être repéré, de sa peur de ses "amis", de sa peur de lui-même, en fait, étant donné que Arctor a peur de Fred et que Fred veut coincer Arctor. La schizophrénie le ronge peu à peu, et les passages où Arctor est Fred qui surveille Arctor sont assez impressionnants par le changement du personnage : il est alors Fred mais ne sait plus qu'il est Arctor. Et là, il est perdu.

Dick nous plonge donc parfaitement dans la psychologie de la paranoïa et de la folie, mais il ne fait pas que ça. Il nous montre aussi les ravages des drogues, mais sans jamais porter un jugement : il nous montre juste les conséquences de la prise de ces substances. Et si nous voyons surtout les conséquences néfastes de se droguer, l'auteur nous explique aussi implicitement que ce n'est pas totalement de leur faute, même si c'est une erreur. Il le dit d'ailleurs bien lui-même dans sa note à la fin du livre quand il explique que se droguer n'est pas une maladie, c'est une décision...mais une mauvaise décision.
Il ne nous fait donc pas un brûlot contre la prise de drogue mais laisse le lecteur décider lui-même si c'est de la "faute" des drogués ou de la société qui les pousse ainsi. Les souvenirs d'Arctor et de ses "amis" sur leurs vies d'avant démontrent d'ailleurs à quel point ces existences étaient lassantes et routinières, et on peut alors se dire que tout le monde peut tomber dans cet enfer...il suffit d'en avoir marre à un moment et de vouloir s'amuser, mais avec sa vie.

Dick livre donc une histoire extrêmement personnelle, et propose aussi une très belle galerie de personnages. Tous sont recherchés, intéressants, faibles et humains. Donna, Luckman, Barris et Arctor sont évidemment les personnages principaux, mais il ne faut pas oublier non plus Freck et Fabin qui sont l'image des drogués anonymes, pas aussi perdus que d'autres mais qui ne s'en sortiront quand même pas. Et puis il y a aussi Hank, sorte de "dieu" qui sait tout et qui pointe d'un doigt inquisiteur Arctor en l'obligeant à devenir schizophrène quand il force Fred à enquêter sur lui, tout en l'aidant à la fin en connaissant son identité.
Les personnages sont donc bien faits, ni bons, ni mauvais, simplement humains, et c'est ça qui est bien, étant donné que le lecteur peut se retrouver en eux et qu'obligatoirement le message que veut faire passer Dick sur les conséquences des drogues s'en voit appuyer.

Néanmoins, même si ce livre est très intéressant et bien fait, j'avoue avoir été quelque peu surprit par la fin et les révélations. Ca arrive trop vite, selon moi, et on ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe à New Path. Bien sûr, cela s'explique par l'état d'Arctor et le fait que lui non plus ne comprend rien ou presque, mais c'est dommage. J'apprécierais peut-être à la relecture quand j'essayerais moins de comprendre ce qu'il se passe vraiment, mais ça m'a laissé un goût étrange dans la bouche, même si ce n'est pas si grave vu que Dick gère très bien, à mon avis, les visions d'Arctor du monde après la destruction de son cerveau (qui arrive un peu vite, mais si on voit sa paranoïa et sa schizophrénie comme symptômes, ça peut très bien passer).

Au final, je recommande donc Substance Mort même si c'est une oeuvre étrange, dérangeante étant donné qu'il n'y a pas de réelle morale et que le héros perd à la fin. Ce n'est pas une critique des drogués, ce n'est pas une excuse pour eux, c'est une présentation des faits qui laisse au lecteur le soin de décider ce qu'il pense de la drogue et de ce que ça peut apporter. Et ça, je trouve ça intéressant et bien, et j'avoue avoir beaucoup apprécié ce livre.

2-3 remarques en passant, pas le temps d'écrire plus pour l'instant.

Citation :

Ce n'est pas une histoire de SF

Justement, Substance Mort (A Scanner Darkly en VO) est un livre type de SF pure. Il est mélangé avec très peu d'autres genres et reprend des grands thèmes de SF. Le Futur Proche, la société totalitaire, les altérations psychologiques, les drogues etc. sont des grands classiques de la SF.

Citation :

J'apprécierais peut-être à la relecture quand j'essayerais moins de comprendre ce qu'il se passe vraiment, mais ça m'a laissé un goût étrange dans la bouche, même si ce n'est pas si grave vu que Dick gère très bien, à mon avis, les visions d'Arctor du monde après la destruction de son cerveau (qui arrive un peu vite, mais si on voit sa paranoïa et sa schizophrénie comme symptômes, ça peut très bien passer).

Ce réalisme dans ces visions s'explique par le fait que Dick s'inspire directement de ses propres expériences.

Citation :

Ca arrive trop vite, selon moi, et on ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe à New Path.

Spoiler a écrit:

La société New Path synthétise la subtance M à partir d'une fleur et ils emploient la main d'oeuvre droguée qu'on envoie chez eux en désintox pour leur laver le cerveau et pouvoir les laisser travailler dans les champs et ainsi créer la drogue. C'est un cercle vicieux où au fur et à mesure que New Path vend de la drogue, ils récupèrent de plus en plus de main d'oeuvre pour la faire et ainsi en vendre encore plus.

Autrement, c'est un très grand roman de Dick (même si j'en ai pas encore lu de mauvais, et pourtant j'en ai lu ... ), peut être un peu plus complexe que certains autres. Si tu en as pas encore lu d'autres, je te conseille Ubik (un must !), le Maitre du Haut Chateau, Blade Runner (et tu n'aimeras plus jamais le film de Ridley Scott) ou encore Le Temps Désarticulé.

Yep
Chez Dick, en moyenne l'histoire n'a que peu d'importance par rapport à la psychologie, souvent perturbée, des personnages.
Certaines scénes qui racontent les délires de l'auteur sous amphét ne sont là que pour l'ambiance décalé et schizo de l'oeuvre.
Comme Glocauer, je conseil Blade Runner/Les androides rêvent ils de moutons éléctrique?

Glocauer a écrit:

Justement, Substance Mort (A Scanner Darkly en VO) est un livre type de SF pure. Il est mélangé avec très peu d'autres genres et reprend des grands thèmes de SF. Le Futur Proche, la société totalitaire, les altérations psychologiques, les drogues etc. sont des grands classiques de la SF.

Ca peut se discuter, mais tout dépend de la définition qu'on a de la SF. Personnellement, je vois la SF comme un futur avec énormément de nouveautés technologiques ou de nouveaux concepts. Bien sûr, c'est exactement ce qu'on voit dans ce livre, mais je trouve que Substance Mort est tellement autre chose que je n'ai pas envie de le cataloguer SF. Pour moi, c'est un truc hybride, et c'est ça qui me plaît.

Pour New Path, merci du spoiler, je m'en doutais déjà fortement. Ca nécessite, je pense, de réfléchir un peu après le livre, et j'ai pensé à ça cet après midi, mais merci quand même.

Pour les autres livres de Dick, je pense que je lirais Le Maître du Haut Chateau après Le Prestige que je suis en train de lire, et Lestat le vampire d'Anne Rice. J'ai envie de me brancher un peu sur les vampires après Le Prestige, je reviendrais à Dick par la suite.

Citation :

Ca peut se discuter, mais tout dépend de la définition qu'on a de la SF. Personnellement, je vois la SF comme un futur avec énormément de nouveautés technologiques ou de nouveaux concepts.

Disons que de la SF met en scène, dans un contexte d'un futur plus ou moins proche et développé, des grandes thématiques et problèmes de nos sociétés actuelles. Pour moi, dans de la bonne SF, tout ce qui est technologie & co doit se fondre dans le décors pour que le monde décrit paraisse naturel quand tu le lis.

Si tu commences Lestat le Vampire, je crains que tu ne puisses plus t'arrêter avant d'avoir lu toute la série des Chroniques des Vampires ... C'est des bouquins addictifs, un peu comme les Assassin Royal de Robin Hobb et qui se lisent très bien. D'ailleurs, concernant Anne Rice, il ne faut pas oublier le cycle des sorcières qui est excellent (et les derniers bouquins des Chroniques de Vampires font la jonction avec le Cycle des Sorcières).

C'est pas faux, pour la SF. Mais ici, comme je l'ai dis, le bouquin me semble tellemen "au-dessus" de la simple SF, je dirais, que je ne veux pas bêtement le cataloguer là-dedans. C'est assez bizarre, mais c'est mon ressentit.

Pour Lestat, bah je verrais. Ca ne serait pas si grave, en fait.
Mais je dois aussi continuer Dune que j'ai lu avant American Tabloïd et Substance Mort. J'aime bien lire d'autres choses entre les différentes suites d'un livre que j'ai lu, histoire de m'aérer l'esprit et d'avoir vraiment envie de lire la suite après.