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- Dans l'Angleterre de la fin du XIXe siècle, où les numéros de magicien et le spiritisme attirent les foules, deux prestidigitateurs, Alfred Borden et Rupert Angier, se rendent célèbres grâce à l'audace de leurs tours. Cette notoriété ne les protège pas de la jalousie, et bientôt les deux hommes se lancent dans une tragique compétition, chacun mettant au point un numéro de téléportation. Quelle folie ont-ils osé commettre pour devenir le plus grand des magiciens ?
Après avoir vu le film de Christopher Nolan avec Christian Bale et Hugh Jackman (que je recommande, d'ailleurs), j'ai eu envie de voir si le livre de Priest (qui n'a aucun rapport avec le scénariste aux mêmes prénom et nom, d'ailleurs) était vraiment aussi différent que je l'avais lu dans des critiques et interviews de l'auteur. Je l'ai donc commencé il y a peu, et je l'ai dévoré en quelques jours tant je le trouve vraiment génial et très sympathique.
Même si le livre et le film parlent de la même chose, de la haine féroce et intense entre les magiciens Alfred Borden et Rupert Angier à la fin du XIXe siècle à Londres, avec des procédés qui se ressemblent (à savoir une vision de leur combat par leurs journaux intimes, ce qui donne obligatoirement deux versions différentes), l'oeuvre originale va plus loin en parlant aussi des descendants des deux magiciens, et se construit presque plus sur leur histoire à eux que sur celle de Borden et d'Angier. Bien sûr, ce sont eux les clefs du livre et de l'avenir de leur descendance, mais leurs arrières petits enfants m'ont vraiment beaucoup intéressés, surtout que Priest commence quand même son récit avec quelque chose de très étrange et mystérieux, et coupe juste au moment où on va avoir un début de réponse sur le pourquoi du sentiment de l'héritier Borden d'avoir un jumeau alors que c'est faux, et ce pour reprendre cette intrigue plus de 400 pages après. Ca donne donc bien envie de lire le milieu pour y arriver, surtout que le "milieu" est extrêmement riche et intéressant.
En effet, en montrant la destinée de deux magiciens d'exception dans ce monde de fin du XIXe siècle (qui m'a toujours passionné), Priest nous démontre surtout comment la haine peut naître entre deux êtres qui auraient pu et dû être des amis et de grands collègues. Il fait une certaine analyse de ces deux hommes qui se perdent peu à peu dans la folie de la colère et de la vengeance, et ce bêtement à cause de quelques lettres arroguantes d'Angier à un journal (qui s'excuse par son chagrin d'amour) et d'une intervention malencontreuse de Borden qui aura voulu préserver sa profession (ce qui s'excuse par le grand amour qu'il porte à la magie), même si ça produira un drame qui sera la clef de tout. L'auteur nous montre donc qu'une telle haine peut arriver à cause de petits riens, au final, et aussi à quel point cela peut pousser les hommes : les interventions dans les spectacles mais surtout les attaques violentes de Borden et Angier mèneront chacun à se perdre dans cette haine, que ça soit par le sabottage de l'illusion de l'un, ou le sacrifice de l'autre avec une machine étonnante. En plus, il montre aussi la faiblesse humaine, déjà vue avec cette haine, par les problèmes de coeur de ses deux "héros" (qui n'en ont que le nom, d'ailleurs, vu leurs actions : Priest en fait de vrais humains, avec leurs forces et surtout leurs faiblesses, et ça participe aussi au charme du livre), perdus dans les méandres des adultères et des amours difficiles.
D'ailleurs, cette machine, qu'on retrouve dans le film, "passe" mieux dans le livre qu'à l'écran. La "faute" certainement au fait que Nolan explique "mieux", on va dire, ce que c'est, alors que Priest reste flou et laisse le lecteur donner son avis et sa conclusion à cet appareil. Bien sûr, il en explique assez pour que tous arrivent à la même idée, mais il n'en dit jamais trop sur ce que cela produit, préférant parler de "prestiges" pour ce que cette machine produit au lieu du résultat de l'expérience qui sautera aux yeux de tous.
En plus de faire une très bonne analyse des deux magiciens et de la haine, qui se poursuivra sur leurs descendants, qui les a fait mourir, l'auteur s'amuse aussi beaucoup avec l'aspect fantastique du milieu de la magie. Sans jamais réellement trahir les secrets de cet art, il démontre à ses lecteurs que tout ceci n'est que prestidigitation, et qu'il n'y a rien de réellement surnaturel. Il fait du fantastique non pas magique, mais scientifique avec la présence de la machine, laissant quand même un gros flou sur Borden tout le long du livre : comment arrive-t-il à être à deux endroits éloignés sur scène en quelques millièmes de secondes ? Comment est-ce possible ? Ces questions rendront presque fous Angier, et c'est un peu de là, aussi, que viendra son idée d'aller voir Tesla (d'ailleurs, je trouve ce passage de l'idée mieux faite dans le film, mais ça n'engage que moi).
Enfin, pour l'histoire, il y a deux éléments que j'ai particulièrement appréciés : la réponse à l'énigme sur "comment fait Borden ?", et la fin du livre. Je ne peux pas en dire trop pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui voudraient lire, mais c'est vraiment exceptionnel. Le premier est visible dès le début du journal de Borden quand il parle d'un certain vieux magicien, et on sent alors la mesure de son sacrifice pour ses rêves et surtout son art (d'où la compréhension par rapport à sa rage contre les lettres d'Angier, d'ailleurs). Et le second est encore mieux, selon moi. Priest laisse une fin qui surprend et rend presque "fou", étant donné qu'il ne dit rien ou presque : il montre juste l'héritier Borden "retrouver" son jumeau, même si ce n'est pas le bon terme, et fait apparaître...quelque chose. Après quelques instants de réflexion,
- Spoiler sur la fin très important a écrit:
- on peut donc comprendre qu'il s'agit très certainement d'Angier qui a réussi à se téléporter dans le corps de son "prestige" et qui a donc continué à survivre vu que les autres prestiges n'ont pas vieillis, mais il se peut aussi que ça soit le père de la descendante d'Angier qui serait resté dans la caverne par culpabilité, et qui sortirait quand on viendrait enlever l'objet de sa honte.
On ne sait pas, Priest nous laisse dans le suspense et la surprise, et même si c'est classique, j'ai énormément apprécié. Ca laisse une grande porte ouverte au lecture, et ça reste maintenant une de mes fins de livre préféré.
De plus, alors que l'histoire est vraiment très bonne comme je viens de vous le dire, la forme est très bien aussi. L'auteur nous fait un texte divisé en cinq parties (journal de l'héritier Borden, journal de Borden, journal de l'héritière Angier, journal d'Angier, fin), où tout s'imbrique parfaitement : l'énigme du premier chapitre commencent à trouver des réponses dans le troisième avant d'être presque découvert dans le dernier, alors que les incompréhensions de Borden face à Angier dans le second deviennent linéaires dans le quatrième, où tout est d'ailleurs expliqué. Priest nous a fait une sorte de puzzle dont on ne voit qu'un quart des pièces au départ, et où il en rajoute à chaque chapitre avant de mettre la dernière pierre à son oeuvre dans la dernière partie exceptionnelle, comme je l'ai dis.
Il mène donc parfaitement son intrigue en mettant du fantastique, de l'analyse, de l'humain, du fun et de l'intense, et sa manière d'écrire est extrêmement plaisante, à la fois très XIXe siècle, mais très abordable aussi pour les gens d'aujourd'hui.
Au final de cette grande critique, j'en ai conscience, je n'ai qu'à dire que j'ai adoré ce livre, même si je me doute que ça doit se voir. C'est vraiment une histoire bien construite, bien imaginée, bien faite et surtout avec une fin qui me restera longtemps. Je le conseille chaudement, et même à ceux qui auront vus le film : même si les deux parlent de la même haine et utilisent le style des journaux intimes, Nolan ne montre jamais la descendance des magiciens et change la fin des deux magiciens, et quelques éléments importants, mais sans les trahire. Le cinéaste a donc fait une oeuvre différente et en même temps proche de celle de Priest, et il y a donc deux versions d'une même histoire. Voir les deux est donc passionnant, je le répète, même si maintenant ma préférence va clairement au livre.
En clair, Le prestige est vraiment un très bon livre, à ne pas manquer selon moi.