The New Invaders : To End All Wars.En 2004, Marvel décida de relancer l'équipe censée être la première de l'univers Marvel : les Invaders, Envahisseurs dans notre belle langue. Censée en effet, car si le groupe fut bien formé dans la continuité dans les années 40, il s'agit en fait d'un retcon de Roy Thomas en 1969, dans Avengers #71 (à noter d'ailleurs que le All-Winners Squad, ancêtre des Invaders et exemple suivi, fut bien créé dans les années 40 avec une composition proche, mais ses aventures se déroulaient après la Deuxième Guerre Mondiale). Néanmoins, l'équipe garde une certaine importance dans les comics actuels, régulièrement rappelée en flash-backs et en références quant aux luttes qu'elle mena.
Une nouvelle série fut donc produite, commençant d'abord dans les pages d'Avengers, à l'époque géré par Chuck Austen, qui fut objectivement moins pire que sur ses derniers numéros de X-Men ou Uncanny X-Men. Débutant donc dans les pages de quatre épisodes d'Avengers (dès le #82 de ce volume), suivi d'un #0 pour les New Invaders avec l'équipe créative chargée de la série, le titre se devait donc d'avoir une vision et un traitement différent des Avengers, considérés alors comme une équipe prévue et agissant pour l'ONU, et non plus exclusivement pour les Etats-Unis d'Amérique. Clairement, l'idée des New Invaders semble être dès le départ d'avoir une équipe nationale, personnelle, celle à même de régler les problèmes dont les Avengers ne pourront ou ne voudront s'occuper ; clairement, cela rappelle l'attitude américaine face au reste du monde durant le mandat de George W. Bush, et l'on ne peut s'étonner alors de retrouver dans l'équipe quelqu'un comme U.S. Agent, sorte de reflet déformé de Captain America dans le sens où il met l'intérêt américain avant tout, là où Steve Rogers place le rêve au stade ultime de ses valeurs.
Ainsi, les New Invaders sont censés être un titre d'action, d'une certaine violence avec un traitement de la diplomatie "à l'américaine", avec évidemment l'idée de critiquer celle-ci et de donner de bonnes phases de combats et des clins d'oeil aux anciens membres. Pour cela, on demande à Allan Jacobsen (inconnu, scénariste d'Hollywood apparemment) et C.P. Smith (aidé de Jorge Lucas au #6) de mettre en oeuvre une équipe composée de membres hétéroclites :
- U.S. Agent, couvert du costume de Captain America et avec un bouclier recouvert des noms des citoyens américains tués par des terroristes
- Union Jack, Joseph Chapman, héritier de la lignée sans lien avec les précédents
- Spitfire, Lady Jacqueline Falsworth-Crichton, fille de l'Union Jack original et soeur du second, hyper-rapide, redevenue jeune grâce à une transfusion de sang de l'Human Torch original
- Blazing Skull, Mark Todd, dépositaire d'une puissance mystique qui le fait ressembler à Ghost Rider, complètement fou après avoir passé des années emprisonné et humilié en Arabie Saoudite
- Namor, souverain d'Atlantis et participant de la coalition Etats-Unis/Grande-Bretagne pour protéger leurs intérêts avec cette équipe
- Thin-Man, Brucke Dickson, aventurier ayant trouvé jadis la cité de Kahalia et qui peut désormais s'étirer à volonté et profiter de la technologie de la ville, malheureusement détruite par les Nazis
- The Fin et sa femme Nia, le premier étant un ancien héros du Golden-Age
- Human Torch, Jim Hammond, qu'on ne présente plus
- Tara, une version moderne du précédent et quasiment toujours nue (le sexe est d'ailleurs assez présent dans les conversations, et de façon assez crue, ce qui rend parfois le scénario plus crédible ou au moins plus glauque)
L'histoire est finalement assez basique : les New Invaders ont été formés par Dell Rusk, Secrétaire d'Etat à la Défense qui s'est révélé être le Red Skull. Les New Invaders continuent néanmoins de fonctionner mais se sont rendus compte que Rusk les a lancés sur la piste de l'Axis Mundi, le "Quatrième Reich" globalement, et a demandé à Thin-Man de lui construire un bâteau invisible aux radars et téléporteur pour les retrouver ; or, ils savent maintenant que Rusk a fait ça pour entrer en possession du vaisseau, les stopper eux et en user avec l'Axis Mundi. Logiquement, ils vont alors affronter l'organisation depuis leur base, le Mazikhandarian, où ils était déposé le "Roi/Président" pour le remplacer par un homme de paille.
Globalement, Jacobsen va étaler sur les neuf numéros de sa série (le crossover et le #0 ne servant qu'à installer l'équipe) différentes intrigues, jouant des références avec le Golden Age sans être trop lourd, en expliquant à ses lecteurs les liens entre les personnages et les lourds sous-entendus qui traînent. A la lecture, on est donc bons pour une amitié indéfectible mais remplie de piques et de vannes entre Namor et Human Torch (anciens "grands" ennemis), pour des flirts assez clairs entre Spitfire et Human Torch (alors que Spitfire est avec Union Jack), pour des piques tendues entre U.S. Agent et Union Jack, pour des relations très tendues entre Thin-Man et Captain America (le second aura empêché jadis le premier de tuer Agent Axis, celui qui mènera le groupe ayant détruit, tué et violé la population de Kahalia, Thin-Man tuant après Axis devant Rogers pour le "punir" et parce qu'il aime ça), pour des manipulations, des complots, etc.
Jacobsen, en fait, a bâti ici un noeud d'intrigues sentimentales et personnelles très fort, où chacun peut se demander ce qu'il fait là et pourquoi il est là. Les New Invaders ont été fondés pour combattre des Nazis par un Nazi, ils n'ont aucune légitimité et naviguent à vue, menés par un Thin-Man ivre de vengeance et complètement fou, puis par un Human Torch rongé par son "devoir" envers Tara qu'il prend pour sa fille, ses sentiments envers Spitfire, ses responsabilités envers le V-Battalion (organisation d'anciens héros secondaires du Golden Age qu'il a pris en charge mais qu'il délaisse pour les New Invaders, ce que n'oubliera pas de condamner le Destroyer, ancien amant du second Union Jack et fondateur du V-Battalion) et son envie de bien faire. L'équipe est clairement prête à exploser à chaque instant, mais elle parvient à tenir on ne sait comment, allant de crise en crise.
Il aurait été très intéressant de voir cela sur la durée, mais Jacobsen ne put tenir que neuf numéros. Il est évident qu'un nouvel affrontement avec les Avengers était prévu, et il aurait été savoureux de voir quelques joutes verbales et quelques cas de responsabilité chez Steve Rogers ; néanmoins, l'auteur parvient à faire cela dans les derniers numéros, "balançant" ses résolutions et ses intrigues secondaires sans trop de finesse mais en parvenant malgré tout à conclure comme il le voulait. Il a ainsi pu offrir aux lecteurs trois story arcs :
- le premier sur la menace d'Axis Mundi liée à des Atlantes rebelles menés par le père de Nia, la femme de The Fin et qui permet à tous de se lier et de se découvrir des affinités (et d'établir clairement la menace)
- le deuxième, sur la belle-fille de Spitfire, vampire dite Baroness Blood, qui a accouché d'un fils malheureusement atteint de consanguinité et qui enlève Spitfire pour prendre son sang et ainsi donner un enfant "parfait" avec ses pouvoirs (rappelons que le Baron Blood fut d'abord le frère du premier Union Jack et donc l'oncle de Spitfire, puis le nom fut aussi pris par le fils de Spitfire avant d'être liquidé). Si cela semble complexe, Jacobsen parvient à finalement expliquer cela assez simplement, et réussit surtout à mettre l'accent sur la culpabilité de Spitfire à l'égard de son fils, de sa jeunesse retrouvée, de ses liens avec l'ami de son fils (l'actuel Union Jack !) et ses rapports avec Human Torch, qu'elle aime toujours en secret
- le dernier, qui clôt l'intrigue sur les Atlantes et l'Axis Mundi, avec entre les deux story arcs un one-shot avec Wolverine agent de l'Hydra qui se heurte aux New Invaders, sûrement pour relancer les ventes
Ainsi, finalement, qu'est-ce que ça vaut ? Au niveau du scénario, c'est du tout bon. Relations personnelles, continuité bien gérée, bon sens du rythme, bonnes scènes d'actions, bons personnages, Jacobsen livre ici un récit loin du blockbuster à la Millar mais bien foutu et bien écrit. Je ne me suis pas ennuyé à lire ce TPB qui contient en un seul les neuf épisodes, et le tout rend à la lecture très bien. Je ne puis qu'être déçu de ne pas voir de suite, surtout que les personnages collaient bien ensemble et rendaient un tableau pittoresque mais ô combien plaisant à lire. Surtout, l'auteur parvient à écrire un épisode final rempli d'action, de sacrifice, de moments émouvants sans qu'on sente trop qu'il se presse ; même si j'aurais voulu plus de temps, ça se tient et ça se lit sans trop de difficulté. C'est même émouvant lors de l'enterrement de Jim Hammond, et la page finale fait bien plaisir par rapport à ce diable de Thin-Man. Pourtant, on ne peut qu'être déçu de ne pas avoir été plus mis en bouche sur la trahison d'un membre de l'équipe, on aurait voulu voir plus sur le flirt "adultérin" de Spitfire et Human Torch, sur la filiation de l'Union Jack, sur la folie de Thin-Man (elle compréhensible, finalement) et de Blazing Skull (le gros sous-développé, malheureusement), sur le sentiment d'infériorité de U.S. Agent, etc.
Globalement, les neuf numéros sont très bons mais donnent l'impression d'un certain gâchis vu l'énorme potentiel lancé par Jacobsen, et surtout jamais repris par la suite.
Evidemment, ma critique ne saurait être honnête sans évoquer le point noir : le dessin. Soyons honnête, clair et concis (pour une fois) : c'est laid. C.P. Smith est peut-être mal encré, mal coloré ou bien dessine-t-il mal (même si j'ai lu un one-shot de lui sur Wolverine qui était très bon), mais c'est d'une laideur monstrueuse. Et ce n'est pas Jorge Lucas, guère inspiré sous un encrage lourd pour le one-shot avec Wolverine, qui vient arranger les choses. Beaucoup du talent de Jacobsen se perd à cause de ces planches anti-dynamiques, laides, statiques.
En conclusion, New Invaders est une série pour tout fan de l'univers Marvel qui veut voir autre chose que les Avengers un peu classiques de l'époque, avec une approche quasi The Authority/StormWatch (Mallrat parlait de la série comme du StormWatch de Marvel, il a raison) où on tape sur les menaces et on voit après s'il y a encore des gens pour discuter. Rempli d'humour, de références pas trop compliquées et de personnages bien tenus (excellent Thin-Man, par exemple), cette série demeure une très bonne lecture et une belle surprise - si on parvient à dépasser les horribles dessins de Smith. Si on préfère un bon scénario à de beaux dessins, on peut foncer. Sinon...ça sera plus dur.
Ah, chose importante : la lecture (et donc l'achat) du TPB des Avengers Once An Invader... est indispensable pour comprendre les New Invaders ; s'y trouvent, il me semble, les quatre épisodes du crossover et le #0 des New Invaders. Sans cela, on peut être bien perdu.